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Les Rosomènes
Par Pierre Lauwers (inédit)
Les rosiers que je nomme "Rosomènes" constituent une des cinq familles identifiables parmi les Hybrides Remontants, lesquels sont essentiellements issus de croisements entre des descendants de rosiers de Damas, les Portland, et des Hybrides de rosiers de chine, issus aussi bien d''Old Blush' que de R.chinensis semperflorens. Plus tard, mais après la constitution du groupe des Rosomènes, la rose thé jaune, 'Park's yellow tea-scented China', interviendra également dans la création des derniers groupes d'Hybrides Remontants.
Le point de départ des Rosomènes fut un rosier exceptionnel, un coup de chance assez rare dans les semis des hybrideurs: 'Gloire des Rosomanes'.
Gloire des Rosomanes (devant la fenêtre)
(Vibert, ou Plantier, 1825)
Gloire des Rosomanes
(clone américain - surprising, isn't-it?)
Ce rosier, attribué à Vibert, 1825, aurait en fait été obtenu par Plantier de Lyon (D'après Mr Dickerson).
'Gloire des Rosomanes' est un rosier étonnament moderne pour son âge. S'il était "mis au commerce" aujourdhui, il passerait pour un "arbuste-paysage" tout-à-fait dans le ton. Sa vigueur est telle qu'il a servi de porte-greffe aux Etats-unis.
Il est très remontant et fleurit, en Belgique, de début Juin jusqu'en Novembre. Aucun "moderne" ne fait mieux. Pour un hybride de R.Chinensis il est très rustique. Le catalogue Schultheis lui attribue une rusticité suffisante pour un "hiver normal" dans le Land de Hesse, où les températures moyennes de Janvier tournent autour de 0°, comme à Bastogne par exemple.
Le port, la présentation en corymbes des fleurs, font penser à un Hybride de multiflora ou de moschata, mais les fleurs, semi-doubles, sont proches de celles de R.chinensis semperflorens.
Vu ce que l'on sait maintenant à propos des origines des Chinenses, tout celà ne doit plus étonner.
En 1848, le rosiériste anglais William Paul, dans "The Rose garden" décrit, classés comme "Indica", une douzaine de descendants de 'Gloire des Rosomanes' ,qu'il écrit "Gloire de Rosomènes".
Parmi ces "Roses de Rosomène" (op.cit) il cite 'Géant des Batailles' (Nérard 1846), et signale que c'est avec celui-là qu'il faut continuer.
Géant des batailles (Nérard 1846)
Cinq ans plus tard, Roussel sort 'Général Jacqueminot', obtenu en pollinisant 'Gloire des Rosomanes' avec Géant des Batailles, un "retrempage" donc. Et ceci sans doute pour retrouver le rouge pur de 'Gloire des Rosomanes', 'Géant des Batailles' présentant une teinte moins éclatante, l'autre parent de ce dernier pourrait être rose. Je pense qu'il pourrait s'agir de la 'Rose du Roi' ou une de ses variétés.
A partir de 'Général Jacqueminot', les obtenteurs vont créer toute une lignée "en vase clos", sans aucun apport extérieur. C'est par ces re-croisements, la sélection de mutations, qu'ils finiront par obtenir les fleurs les plus proches du noir qu'il soit possible d'obtenir de rosiers.
Ces "Rosomènes" donneront eux-mêmes naissance aux Hybrides de Thé rouges ; quasi tous les rosiers rouges remontants modernes en descendent.
Alors que les Rosomènes étaient, d'après Jules Gravereaux, "le plus important groupe en nombre parmi les Hybrides Remontants", il n'en reste plus beaucoup aujourdhui, sauf dans quelques collections publiques comme la roseraie du Val-de-Marne à l'Haÿ-les-roses ou le Rosarium de Sangerhausen.
Certains ont survécu en Californie, en Australie, en Afrique du sud et en Nouvelle-zélande, ce qui est étonnant pour des rosiers qui ne supportent pas le soleil direct.
Chez les pépiniéristes spécialisés, on peut encore trouver assez facilement 'Général Jacqueminot', 'Baron Girod de l'Ain', 'Eugene Fürst', 'Fisher Holmes'.
Fisher Holmes (Verdier 1865)
Ces rosiers, qui se situent à un extrème tant du point de vue esthétique que génétique, marquent profondément le jardinier qui les possède. Je dirais qu'un peu comme la musique de Wagner, dont l'esprit, l'esthétique est finalement proche et contemporaine, "on n'en sort pas indemne!".
La finesse et le raffinement des fleurs, la richesse et la profondeur des couleurs, qui vont du rouge sang typique de R.shinensis semperflorens au presque noir, la force et la qualité des parfums, qui n'ont rien à envier aux roses de Damas, sont extraordinaires.
Les Hybrides de Thé qui ont suivi remontent un peu plus régulièrement, c'est vrai, mais la différence s'atténue avec les années. Ce n'est qu'à partir de cinq ans d'âge qu'un Rosomène peut être considéré comme adulte.
Il faut les cultiver sous un soleil tamisé par la ramure des arbres, le soleil direct brûlant les fleurs et provoquant des attaques d'oïdium. C'est pour cette raison qu'ils sont rares et incompris aujourdhui, alors que tout le monde croit que tous les rosiers doivent être en plein soleil.
Beaucoup sont en réalité des grimpants, qui seront à l'aise dans de vieux pommiers, poiriers.
Mais ces derniers étant des Rosacées, épuisant donc le sol de la même façon que les rosiers, il faudra, à la plantation, remplacer la terre jusqu'à une profondeur de deux fers de bêche.
Les Rosomènes sont des rosiers très gourmands. Ne pas abuser des engrais chimiques et minéraux qui épuisent le sol. Il vaut mieux nourrir le sol lui-même : compost bien fait, humus pour rosiers, sont à distribuer régulièrement. Arroser par temps sec, le dessous des arbres étant toujours plus sec qu'ailleurs.
A l'instar des plus grands vins qui, s'ils sont bien entendu sophistiqués, restent avant tout l'expression d'un terroir et d'un ou de cépage(s), les Rosomènes sont bien plus proches de leurs ancêtres botaniques que leur aspect le laisse supposer.
Laissez-les donc faire un peu "n'importe quoi" dans leur arbre. Palissés contre un mur, ils vous décevront, voire mourront. La taille, en Mars, sera légère. Eliminer le bois mort, raccourcir les longues tiges qui filent tout droit vers le ciel et les arquer dans la ramure de l'arbre. Quant au "vieux bois", il y en a très peu à enlever chez ces rosiers dont le bois vieillit bien mieux que celui des Hybrides de Thé.
Inutile aussi de vouloir éviter que deux tiges se touchent. Un aspect un peu "églantier" est normal chez un phénomène comme 'Baron Girod de l'Ain', par exemple.
Baron Girod de l'Ain (Réverchon 1897)
Ce sont des rosiers romantiques par excellence, faits pour des "jardins de curé", pas pour des jardins stricts où tout doit rester "propre en ordre" comme l'intérieur d'une maison.
Dans ces conditions, les Rosomènes peuvent se passer de tout traitement phytosanitaire. Pour ma part je pulvérise en hiver, à la bouillie bordelaise. C'est tout! S'il y a de l'oïdium c'est l'indice d'un excès de soleil direct. Le Marsonia attaque les feuilles trop près du sol, chez un rosier jeune ou trop taillé. La rouille attaque assez facilement les Rosomènes, mais il suffit d'enlever les feuilles atteintes avant que les tiges soient touchées. Cette maladie n'apparaît pas tous les ans.
Bref, ne traitez pas! Si un Rosomène est malade, c'est qu'il est mal placé, trop taillé, mal nourri.
Il serait d'autant plus dommage de le faire que les fleurs, idéales pour les pot-pourri, voire la cuisine,méritent vraiment autre chose. Pulvériseriez-vous quoi que ce soit sur un Modigliani?
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Pour les collectionneurs et les fouineurs, voici une liste de tous les Rosomènes documentés dans la littérature et le catalogue des frères Ketten, Luxembourg, de 1912:
Alfred Colomb
Baron de Bonstetten
Baron Girod de l'Ain
Duke of Edimburgh
Duc de Cazès
Éclair
Empereur du Maroc
Eugene Fürst
Fisher Holmes
Ferdinand de Lesseps ou Maurice Bernardin
Général Jacqueminot
Géant des batailles
Horace Vernet
Lord Raglan
Marshall P.Wilder
Prince Camille de Rohan
Pierre Notting
Roger Lambellin
Triomphe de Caen
Xavier Olibo
Comtesse de Camondo
Cardinal Patrizzi
Jean Liabaud
Sénateur Vaisse
Brightness of Cheshunt
Duke of Connaught
Jules Rossignihoul
Eugène Happert
Rudolf Einhard
Abbé Bramerel
Remerciements à : l'association des amis de la Roseraie du Val-De-Marne, pour la consultation du catalogue des frères Ketten de 1912 ; Daphne Filiberti de La Jolla,CA, pour la mise à disposition du texte de William Paul, 1848.
Pierre Lauwers,
dernière mise à jour le 2 décembre 2003
Baron de Bonstetten (Liabaud 1871)
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